- Author, Armand Mouko Boudombo
- Role, Journaliste -BBC Afrique
- Twitter, @AmoukoB
El hadj Souleymana 48 ans, a laissé sa vie, comme 53 autres personnes, lorsqu’une rivière en crue a emporté la voiture de transport en commun à bord de laquelle il se trouvait. Il laisse une famille totalement éplorée et sans moyens de survie.
Il a fallu des jours de négociation pour convaincre Elhadji Ibrahima Ousseini de nous parler. Secoué par le deuil, le quinquagénaire est hésitant, face à la douleur, lui qui a perdu son frère cadet, "un pilier de la famille".
C’est la voix tremblotante qu’il nous livre son témoignage, quelques jours après les obsèques de son frère cadet, un commerçant qui fait la ligne entre sa ville de résidence Tahoua, et les marchés environnants.
« Au nom de Dieu, il faisait l'unanimité. Depuis sa tendre enfance, c'était un garçon qui a toujours été calme. C'est comme ça que Dieu l'a créé”, témoigne Elhadj Ibrahima.
À 48 ans, le défunt a su se faire des amis et se faire respecter, principalement dans la communauté haussa dont il fait partie, explique son frère aîné.
"Il était tellement respecté que lors de son mariage, des amis à lui sont venus de toutes les régions, y compris d’Illéla et Sokoto du Nigeria voisin".
C’est un chemin dont il a l’habitude, qui lui aura finalement été fatal. Habitant de Tahoua, il l’emprunte depuis des décennies pour écouler ses produits dans le marché hebdomadaire de Telemces à quelque 120 kilomètres de sa ville de résidence.
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Cette fois, le voyage a été court et sans retour. Croyant s’embarquer dans un voyage habituellement paisible, il parcourt 70 kilomètres avant de faire face, avec ses compagnons de voyage, à un Kori (rivière en langue locale) en furie, dans la localité de Garin Ali.
Cet affluent du fleuve Niger, habituellement sec en saison chaude, a été alimenté par deux journées de pluies, les eaux sont inhabituellement hautes, rapporte à la BBC, Elhadji Sanoussi Mahamadou, un opérateur économique de Tahoua, qui est allé prêter main forte à l’équipe de secours.
Les eaux emportent deux véhicules de transport en commun, à bord desquels se trouvent plusieurs dizaines de personnes, 54 ont trépassé, selon les autorités, et d’autres n’ont pas été retrouvés.
Les familles des victimes ne sont informées que le lendemain que le pire était arrivé : "Nous nous sommes rendus sur les lieux du drame. Nous avons trouvé des survivants qui se sont accrochés aux arbres toute la nuit. Et ce sont eux que nous avons récupérés. Ils ont pu appeler leurs proches". Explique M. Sanoussi Mahamadou.
12 orphelins
El hadj Souleymana, 48 ans, n’a pas eu la chance d’avoir la vie sauve : « Lorsque j’ai vu son corps, j’ai ressenti une forte tristesse », explique son frère aîné.
Le disparu laisse 12 orphelins « dont la plupart en bas âge » et deux veuves. Son décès arrive à la veille de la rentrée scolaire, ce qui inquiète la famille.
"Vraiment, c'est un grave problème qui pointe à l'horizon. Et vraiment, nous souhaitons que les autorités nous aident à faire face à la situation. Ce sont des Orphelins".
Le défunt était très respecté. "Nous prions Dieu de nous amener les bonnes personnes qui vont nous aider à faire face à la situation", explique le frère aîné du disparu.
Parmi la cinquantaine de victimes, Elhadji Sanoussi Mahamadou garde le souvenir d’un de ses proches amis, lui également opérateur économique dans la ville de Tahoua. Lorsque nous lui parlons, il se trouve dans la cour familiale du défunt, pour apporter du réconfort à sa famille.
"Le défunt était considéré comme notre chef à tous. Il aidait tout le monde. Nous le considérons comme le chef du marché hebdomadaire. Même si vous partez les mains vides, il a toujours été prêt à vous avancer de l’argent que vous rembourserez plus tard. Il n’a jamais demandé en retour un bénéfice". déclare-t-il.
Le gouvernement a-t-il apporté de l'aide ?
Dans un environnement difficile, les populations ont dû faire avec les moyens du bord pour ramener les dépouilles.
"En dehors des parents des victimes et nous qui avons amené 5 voitures et 6 camions. Je n’ai vu aucun officiel. C’est nous qui avons transporté les victimes. Aucun chef de village, aucune autorité n’a apporté une quelconque aide", rapporte Elhadji Sanoussi Mahamadou.
Pour Elhadji Ibrahima Ousseini qui a perdu son frère cadet, "vraiment, nous n'avons pas eu ce que nous attendons des autorités. Parce qu’au moment où nous récupérions les corps, un pont a cédé. Mais malgré tout, nous avons continué les recherches jusqu’à 21 h le soir. Rien n'a été fait jusqu'à présent. C'est triste vraiment".
Dans une de ses éditions de journaux, la télévision publique a rapporté que la ministre de l'Action humanitaire a apporté une aide aux familles des victimes, sans préciser si toutes les familles ont été prises en compte.
L'Agence de Presse Nigérienne a annoncé le 22 août que les autorités militaires ont décidé en Conseil des ministres, du déblocage de 12 milliards de francs CFA pour la gestion des inondations.
Le Niger fait face à de folles inondations ces dernières années, principalement en raison des saisons pluvieuses plus courtes, et mais avec des intenses averses qui alimentent le fleuve Niger qui traverse le sud du pays, et ses affluents souvent asséchés en saison d’étiage.
À cela s’ajoute, selon des experts, le mauvais aménagement des villes qui s’installent sur le passage des eaux, et des sols encroûtés, et argileux qui ne facilitent pas la circulation des eaux pluviales.
Ces trois dernières années, les eaux fluviales et pluviales ont ôté la vie à plusieurs centaines de personnes. Rien que cette année, au moins 217 personnes ont déjà perdu la vie selon un bilan des autorités établi le 20 août.
Parmi ces personnes, 108 sont mortes par noyade, alors que 109 ont perdu leurs vies lors de l'effondrement de leurs maisons.